Projet de loi relatif au rapprochement de l'Autorité de sûreté nucléaire, avec l'IRSN : déclaration au CNESER de l'UNSA SPAEN et du SNPTES-UNSA
Séance plénière du 14 novembre 2023 - Déclaration liminaire
L’UNSA SPAEN et le SNPTES-UNSA déplorent une mise à l’ordre du jour très tardive de la séance plénière du CNESER à propos du projet de loi relatif au rapprochement de l'ASN - Autorité de Sûreté Nucléaire, avec l'IRSN - Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. Une telle manière d’opérer est inadmissible devant l’importance des enjeux de l’industrie nucléaire en France et de la recherche et développement afférente et, d’une manière plus générale pour la souveraineté énergétique française et européenne. Il est strictement impossible d’analyser en profondeur l’ensemble des documents transmis (près de 250 pages en incluant l’étude d’impact étonnamment non transmise aux élus du CNESER mais transmise aux salariés de l’IRSN). Néanmoins, nous avons d’ores et déjà relevé des points qui nécessitent de sérieux éclaircissements (voir ci-après) et nous conduisent aux critiques suivantes :
- L’important travail de concertation du gouvernement se résume-t-il à demander aux différentes instances (CNESER, HCTISN, etc.) de donner un avis « éclairé » en leur laissant 2 jours ouvrés ? Voilà une bien curieuse façon de considérer ces instances…
- Le droit du travail ne risque pas de sortir grandi de ce mic-mac publico-privé (instances, commission, formation de santé et de sécurité, activités sociales, budgets, etc.) qui risque rapidement de se trouver ingérable.
- Le manque d’attractivité dans les EPIC est confirmé par le rattrapage proposé, alors que l’INSEE vient de publier des statistiques montrant que les salaires publics ont progressé deux fois moins vite que ceux du privé en 10 ans. Constat que nous faisons au CEA, dans le contexte de concurrence internationale et nationale sur le nucléaire, l’énergie en général, l’électronique et le numérique (IA, quantique, cybersécurité). Nous attendons maintenant les moyens de vos ambitions.
- Le débat sur le regroupement pourrait aussi être celui du rapport de la science au politique :
- On peut comprendre que l’ASN ait besoin de rendre des décisions qui ne soient pas influencées, d’une manière ou d’une autre. Mais ce regroupement et le report de la « transparence » à un règlement intérieur pose la question de la valeur de l’expertise scientifique. L’expertise scientifique ne doit pas être déformée par la politique. Elle doit être publiée de manière transparente et les décisions de l’autorité de sûreté doivent être explicitées au regard de l’expertise. L’UNSA suggère un amendement à la loi pour « garantir » cette transparence nécessaire de l’expertise technique.
- Les recherches effectuées précédemment par l’IRSN risquent de pâtir du regroupement, avec des organismes qui pourraient hésiter à collaborer avec l’autorité de contrôle
- Le Haut-Commissaire, ou plutôt le rôle du haut-commissaire qui, quand il était placé au CEA, s’appuyait sur une filière d’experts scientifiques pour rendre des avis scientifiques, disparaît au profit d’une science « politisée ». Quelle que soit la place du Haut-Commissaire, il faut retrouver l’esprit qui a animé la création du CEA le 18 octobre 1945 et lui permettre de rendre des avis scientifiques en toute indépendance.
Questions
Gouvernance :
« L’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection peut percevoir des rémunérations pour services rendus. » Une telle mention interroge pour une agence indépendante ? Quel(s) type(s) de rémunération et pour quel(s) service(s) précisément ?
« Avant le 1er juillet 2024, le Gouvernement remet au Parlement un rapport, élaboré avec le concours de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, sur les besoins prévisionnels humains et financiers qui seront nécessaires à l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection en 2025 pour exercer ses missions dans le nouveau contexte nucléaire, ainsi que les mesures indispensables pour assurer l’attractivité des conditions d’emploi de ses personnels par rapport au marché du travail dans le domaine du nucléaire. » Est-ce que le CEA, aura droit à la même disposition pour pouvoir intégrer une partie de l’IRSN comme il est prévu dans le texte ?
« La gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection a connu de nombreuses évolutions de son organisation depuis sa création. Au cours des années, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection s’est développé et renforcé sur la base des retours d’expérience et des meilleures pratiques et recommandations internationales. Ce processus d’amélioration continue et de réorganisations des services de l’Etat – avec la création en 2002 de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), réunissant dans un établissement public les services d’experts et la création en 2006 d’une autorité administrative indépendante du Gouvernement, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), chargée du contrôle en matière de sûreté et de radioprotection, s’est révélé adapté au contexte de ces vingt dernières années, sans nouveau programme d’envergure ». Le système actuel a fait ses preuves et il est reconnu internationalement. De plus, le système actuel répond aux exigences en terme de sûreté-radioprotection d’une potentielle évolution d’envergure du parc électronucléaire. Quel est le rationnel réel de ce profond changement qui n’est pas soutenu par la filière nucléaire elle-même ? Quel est le périmètre et l’objet de ce programme d’envergure cité ?
Page 3/10 : 1° « L’amélioration de l’efficience des procédures en matières de sûreté nucléaire. ». Le terme « efficience » rentrant dans la mesure de la performance est plus que discutable dans le cas de l’énergie nucléaire notamment dans la notion de contrôle ! A moins que l’on parle d’efficience technique entre les résultats mesurés et les moyens utilisés. Qu’en est-il ?
« Le collège rend publiques ses décisions et prises de position, et rend compte au Parlement. Il définit la stratégie et la doctrine de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Il auditionne les exploitants et les organisations représentatives des responsables d’activité nucléaire, notamment dans le domaine médical ». Pourquoi cette précision pour le domaine médical ? Le collège sera-t-il pourvu systématiquement d’un médecin dans ses rangs ?
« Actuellement réparties à l’ASN et à l’IRSN : recherche, expertises généralistes et spécialisées, inspection des installations et connaissance du terrain, contribution à l’élaboration de la réglementation, pouvoirs de coercition et de sanction, gestion des situations d’urgence, surveillance de l’environnement, information du public ». Comme cela est bien écrit dans la proposition de texte, ces activités majeures sont actuellement réparties à l’ASN et l’IRSN, soit dans deux entités séparées afin d’éviter de se trouver dans une situation de juge et partie. L’intégration des phases de conception de l’instruction avec le contrôle ! Si la séparation des processus d’instruction, d’expertise et de recherche est bien définie dans le texte, est-ce les mêmes responsables qui seront décisionnaires (le collège). Cette disposition serait très discutable pour une autorité indépendante de régulation.
Ressources Humaines :
« Art. L. 592-12. – L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection peut employer des fonctionnaires placés auprès d’elle dans une position conforme à leur statut et recruter des agents contractuels de droit public et des salariés de droit privé. » Comment un tel ensemble pourra fonctionner sereinement ? Est-il prévu à moyen-long terme la disparition des fonctionnaires ou bien celles des salariés de droit privé ?
« L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et l’Autorité de sûreté nucléaire consacrent respectivement 15 M€ et 0,7 M€ à l’augmentation des salariés et des contractuels de droit public en 2024. » Est-ce en plus du cadre réglementaire régissant les augmentations comme une prime d’acceptation ? Combien de salariés sont concernés ? Combien cela représente concrètement pour chaque salarié concerné ?
« Les mesures du présent projet de loi destinées à renforcer l’attractivité de la future autorité ainsi qu’à équilibrer les modalités de gestion entre les différents statuts de personnels au sein de l’IRSN et de l’ASN (articles 8 et 11 du présent projet de loi) ». Ces mesures vont dans le sens d’un renchérissement des coûts pour les finances publiques consacré à la sûreté nucléaire, à l’instar des enveloppes salariales de 15 M€ et 0,7 M€ prévues en 2024 qui permettront respectivement aux directions générales de l’IRSN et de l’ASN d’engager un rééquilibrage salarial au regard du marché du travail du secteur nucléaire, dès l’année prochaine, à l’issue de la promulgation du présent projet de loi. » Quand est-il des autres salariés du nucléaire « publique » et notamment ceux du CEA dont les salaires sont douloureusement bas par rapport au marché ?
« En cohérence avec l’objectif premier de la réforme poursuivie, l’article 8 prévoit le transfert de tous les contrats de travails des personnels de l’IRSN au sein de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, sans changement de situation, ainsi que le maintien des effets des accords collectifs, à l’exception des contrats de travail des salariés exerçant au sein de la DEND ou au profit des activités de relatives à la fourniture et à l’exploitation de dosimètres à lecture différée. Ces dernières activités seront respectivement transférées auprès du Délégué à la radioprotection et à la sûreté nucléaire des activités de défense (DSND) et du CEA. L’ensemble des contrats de travail de ces salariés seront transférés au CEA. Les salariés de la DEND seront par la suite mis à disposition du
ministre de la défense par le CEA. ». De plus, ,le texte précise ceci : « Les activités relatives à la fourniture et à l’exploitation de dosimètres à lecture différée de l’IRSN, qui nécessitent un démarchage commercial actif de l’entité qui les opèrent, auprès de clients qui seront soumis au contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, seront transférées au sein du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, qui sera en mesure de réaliser ce type d’activités dans un contexte concurrentiel, assortie d’un système de convention avec l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection et le Gouvernement permettant des interactions fluides entre les différentes parties prenantes. Les contrats de travail des personnels seront transférés au CEA. » Quel est le positionnement du Comité National du CEA par rapport à ces deux points ? Comment le CEA réalisera les démarches commerciales ? Combien de contrats de travail transférés au CEA ? Sous quel statut ? Est-ce que ces salariés bénéficieront des augmentations de salaires prévues de 2024 avant leur transfert au CEA ? N’y aura-t-il pas des distorsions de salaires avec leurs futurs collègues CEA qui risquent de provoquer des tensions comme cela a déjà été le cas lors d’augmentations salariales peu maitrisées ? Sur quel centre CEA les salariés de l’IRSN concernés seront-ils transférés (déménagement en province ?) ?
Relations sociales :
« Par dérogation à l’article L. 2143-10 du code du travail, les mandats des délégués syndicaux désignés au sein de l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire subsistent au sein de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. Leur mandat prend fin au plus tard à la date des élections du comité social d’administration de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. ». Comment sera géré la situation si un syndicat est présent à l’IRSN (avec des DS) mais n’existe pas actuellement à l’ASN ?
« Le Gouvernement a entrepris un important travail de concertation depuis le mois de juillet 2023 avec les parties prenantes resserrées de ce dossier, au travers de nombreux échanges à différents niveaux, avec notamment l’ASN, l’IRSN et leurs organisations représentatives du personnel respectives, les parlementaires, l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (l’ANCCLI) ou encore le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) ». Quels sont les retours des organisations syndicales représentatives de l’ASN et de l’IRSN ? Quelles sont les positions respectives du HCTISN et de l’ANCCLI sur cette fusion ?
Recherche :
L’IRSN ayant signé un accord avec l’Université de Paris-Saclay afin de devenir un établissement composante au même titre que le CEA (par exemple), comment une telle situation peut perdurer pour une agence dite indépendante ?
Dans le nouvel ensemble que constituera l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection, rien n’est écrit sur la consolidation du financement de la recherche interne. Qu’en est-il ?
Page 2/10 : « c’est également la décision de poursuivre le développement du réacteur de recherche Jules Horowitz et le renouvellement des installations de recherche de la branche nucléaire civil du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui jouera un rôle central dans l’animation et le pilotage de la recherche dans la filière, avec ici également des enjeux nouveaux et complexes pour la sûreté nucléaire autant que la filière industrielle ». Pour que le CEA joue un rôle central dans l’animation et pilotage de la recherche, le renouvellement des installations est inévitable. A ce jour aucun programme de rénovation ou de, construction n’est défini ! Par exemple, le CEA est toujours en attente des 150 ETP supplémentaires promis et rattachés à France 2030…
« Par ailleurs, l’évolution envisagée s’inscrit dans un contexte de tension sur les ressources qui touche l’ensemble de la filière nucléaire. Le présent projet de loi vise ainsi également à apporter une solution concrète aux enjeux de recrutement et d’attractivité pour assurer les moyens d’action de la future autorité, tant sur les effectifs que les moyens alloués, aux enjeux de pérennisation de ces compétences ». L’attractivité ne se décidant pas, quel sont les moyens concrets prévus, au-delà de l’augmentation limité des salaires, pour que les chercheurs de l’IRSN souhaitent rester et que la nouvelle autorité attire de nouveaux candidats ?
Haut-Commissaire à l’Energie Atomique :
« L’article L. 332-4 du code de la recherche est abrogé. » Article L 332-4 du Code de la Recherche : Un haut- commissaire assume la charge de conseiller scientifique et technique auprès de l'administrateur général. Le haut- commissaire peut saisir directement le Comité de l'énergie atomique mentionné à l'article L. 332-2 et l'autorité administrative compétente de ses propositions concernant l'orientation générale scientifique et technique qui lui paraît souhaitable. Il préside un conseil scientifique. Cette dernière phrase sur le Conseil Scientifique n’est pas repris dans le nouvel Article du Code de l’Énergie L.141-13 mentionné en page 11. Doit-on en déduire que ce Conseil Scientifique disparaît ? La recherche scientifique n’est- elle plus l’une des valeurs cardinales des missions du Haut-Commissaire ? Quelle incidence générale pour ses missions que la description globale de la fonction du Haut-Commissaire passe du Code de la Recherche au Code de l’Énergie ?
« L’article 16 prévoit de modifier le positionnement du haut-commissaire à l’énergie atomique en vue de son rattachement à la Première ministre, afin de renforcer son implication dans la coordination de la politique nucléaire. Il poursuivra également ses actions de conseil et d’expertise en matière d’énergie nucléaire. ». De plus, il est mentionné ceci : « Il est proposé que l’existence et le rôle HCEA soient définis dans le code de l’énergie, plutôt que dans la section du code de la recherche consacrée au commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, pour marquer un nouveau positionnement de conseiller au service du Gouvernement. » Doit-on en conclure que le Haut-Commissaire ne fait plus partie du CEA ?
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