Financement de la recherche et théorie de l'évolution
Dans une récente tribune dans “Les Échos”, mais également lors de la cérémonie des 80 ans du CNRS, son président, Antoine Petit, a appelé de ses vœux une loi de programmation de la recherche “inégalitaire”, “darwinienne”. Le SNPTES et la FA-ENESR sont abasourdis que le président du CNRS puisse avoir de tels propos, dans ce moment où toute la communauté scientifique française, à bout de souffle faute de considération et de financements décents depuis des années, attend cette future loi avec un peu d’espoir. Le SNPTES et la FA-ENESR tiennent à dire que les mots ont un sens et que prôner l’inégalité n’est pas enclin à rassurer les personnels de la recherche qui s’investissent avec à cœur l’intérêt général.
Puisque Antoine Petit s’est engagé dans une métaphore “évolutionniste”, il est bon de rappeler, de manière très simpliste mais apparemment utile, quelques principes de cette théorie qui vont à l’encontre de ce que le président du CNRS essaie de sous-entendre.
Poussons nous-même la métaphore et voyons ce qu’une optimisation des financements, car c’est bien de ça dont il s’agit, par optimisation évolutionniste impliquerait. Tout d’abord, cette approche conduit à ce que l’individu qui est le plus adapté à ses contraintes environnementales a un avantage et, de par sa propre reproduction, tend à devenir l’individu dominant.
Les premières questions qui se posent sont donc les suivantes : quelles contraintes définissent une recherche de qualité et comment mesurer le niveau d’adaptation des chercheurs à celles-ci ? Actuellement, le chercheur qui par stratégie d’adaptation à son environnement dilue sa recherche en publiant ses travaux par épisodes dans divers journaux au lieu de la synthétiser dans un seul article de qualité supérieure est mieux adapté à son environnement.
Est-ce là le comportement qu’il faille récompenser ? Actuellement, le chercheur qui papillonnerait d’un sujet de recherche à la mode à un autre, serait mieux adapté à son environnement.
Doit-on encourager ce comportement ? À l’inverse, une équipe de recherche, pluricatégorielle, creusant avec abnégation, humilité et rigueur scientifique une même thématique de recherche depuis des années et publiant ses travaux dans des archives ouvertes -puisque là est le sens réel de l’évolution du monde de la recherche- serait-elle la mieux adaptée à la recherche scientifique de qualité ? Sûrement pas aux yeux du président du CNRS ! Les exemples ne manquent pas pour montrer à quel point les stratégies d’adaptation aux contraintes de financements de la recherche peuvent être décorrélées de la réelle production de connaissances. Reste à savoir ce qu’on entend favoriser.
Un dernier point : l’évolution biologique, tout comme les algorithmes d’optimisation qui s’en inspirent, ne conduiraient pas à des optimums sans la mutation aléatoire. Cette mutation aléatoire, qui peut venir de n’importe quel individu, peut à elle seule ouvrir des branches d’évolutions complètement nouvelles et inattendues. Mais ça, le président du CNRS semble l’avoir oublié.
Documents numériques (1)
financement_recherche Adobe Acrobat PDF |
29/11/2019